115 Assignment: Montaigne, Un trait de quelques ambassadeurs (Essais I, 17)


UN TRAIT DE QUELQUES AMBASSADEURS (pdf)


[fragment 1]

J’observe en mes voyages cette pratique, pour apprendre toujours quelque chose par la communication d’autrui (qui est une des plus belles écoles qui puisse être), de ramener toujours ceux avec qui je confère aux propos des choses qu’ils savent le mieux

Que le marin se borne à parler des vents,

Le laboureur des taureaux, le guerrier de ses blessures

Et le pâtre de ses troupeaux.

(Vers de Properce [II, 1], cités par Montaigne en italien)

Car il advient le plus souvent, au rebours, que chacun choisit plutôt à discourir du métier d’un autre que du sien, estimant que c’est autant de nouvelle réputation acquise : témoin le reproche qu’Archidamos fit à Periandre, qu’il quittait la gloire de bon médecin pour acquérir celle de mauvais poète.

Voyez combien César se déploie largement à nous faire entendre ses inventions à bâtir ponts et engins ; et combien au prix il va se serrant où il parle des offices de sa profession, de sa vaillance et conduite de sa milice. Ses exploits le vérifient assez capitaine excellent: iI se veut faire connaître excellent ingénieur, qualité en quelque façon étrangère.

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[fragment 2]

 

Ainsi, il faut rejeter toujours l’architecte, le peintre, le cordonnier, et ainsi du reste, chacun à son gibier. Et, à ce propos, à la lecture des histoires, qui est le sujet de toutes gens, j’ai accoutumé de considérer qui en sont les écrivains: si ce sont personnes qui ne fassent autre profession que de lettres, j’en apprends principalement le style et le langage ; si ce sont médecins, je les crois plus volontiers en ce qu’ils nous disent de la température de l’air, de la santé et complexion des princes, des blessures et maladies;…


[fragment 3]

À cette cause, ce que j'eusse passé à un autre sans m'y arrêter, je l’ai pesé et remarqué en l’histoire du seigneur de Langey, très entendu en telles choses. C’est qu’après avoir conté ces belles remontrances de l’empereur Charles V, faites au consistoire, à Rome, présents I’évêque de Maçon et le seigneur du Velly, nos ambassadeurs, où il avait mêlé plusieurs paroles outrageuses contre nous, et entre autres que, si ses capitaines, soldats et sujets n’étaient d’autre fidélité et suffisance en l’art militaire que ceux du roi, tout sur l’heure II s’attacherait la corde au cou pour lui aller demander miséricorde (et de ceci il semble qu’il en crut quelque chose, car deux au trois fois en sa vie, depuis, il lui advint de redire ces mêmes mots) ; aussi qu’il défia le roi de le combattre en chemise, avec l’épée et le poignard, dans un bateau. Ledit seigneur de Langey, suivant son histoire, ajoute que lesdits ambassadeurs, faisant une dépêche au roi de ces choses, lui en dissimulèrent la plus grande partie, même lui célèrent les deux articles précédents. Or j’ai trouvé bien étrange qu’il fût en la puissance d’un ambassadeur de dispenser sur les avertissements qu’il doit faire à son maître, même de telle conséquence, venant de telle personne, et dits en si grande assemblée. Et m'eût semblé l’office du serviteur être de fidèlement représenter les choses en leur entier, comme elles sont advenues, afin que la liberté d’ordonner, juger et choisir demeurât au maître.


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