132 Assignment: Jean de Léry

Jean de Léry, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, (publ. 1578)

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21 mars 1557. Suivant donc cette police ecclésiastique, le dimanche vingt et unième de mars, la Sainte Cène de Notre Seigneur Jésus-Christ fut célébrée pour la première fois au fort de Coligny en Amérique. Les ministres avaient auparavant préparé et catéchisé tous ceux qui y devaient prendre part. Et un certain Jean Cointa, qui se faisait appeloer M. Hector, autrefois docteur en Sorbonne, qui avait passé la mer avec nous fut prié par les ministres – parce qu’ils n’avaient pas bonne opinion de lui – de se présenter en confession publique de la foi. Il le fit et par ce même moyen, devant tous, il abjura le papisme.

Semblablement, quand le sermon fut achevé, Villegagnonfaisant toujours le zélateur, se mit debout. Alléguant que les capitaines, maîtres des navires, matelots et autres qui y avaient assisté n’avaient pas encore fait profession de la religion réformée et n’étaient pas capables d’un tel mystère, il les fit sortir et ne voulut pas qu’ils vissent administrer le pain et le vin. Lui-même, tant pour dédier, comme il disait, son fort à Dieu, que pour faire confession de sa foi à la face de l’Eglise, se mit à genoux sur un carré de velours (que son page portait ordinairement avec lui) et il prononça à haute voix deux oraisons. J’en ai eu copie et, afin que chacun entende mieux combien il était malaisé de connaître le coeur de cet homme, je les ai ici insérées mot à mot, sans y changer une seule lettre.

Ces deux prières finies, Villegagnon se présenta le premier à la table du Seigneur et reçut à genoux le pain et le vin de la main du ministre. Cependant, et pour faire court, il vérifia bientôt après ce qu’a dit un ancien, à savoir qu’il est malaisé de contrefaire longtemps le vertueux. Et on s’aperçut aisément qu’il n’y avait qu’ostentation en son fait. D’ailleurs, lui et Cointa – quoiqu’ils eussent abjuré publiquement le papisme – avaient plus envie de débattre et contester que d’apprendre et de profiter. Aussi ne tardèrent-ils pas beaucoup à promouvoir des disputes touchant la doctrine. Mais principalement sur le point de la Cène: car s’ils rejetaient la transsubstantiation de l’Eglise Romaine comme une opinion dont ils disaient ouvertement qu’elle était fort lourde et absurde, et s’ils n’approuvaient point non plus la consubstantiation, pourtant ils ne se contentaient pas de ce que les ministres enseignaient et prouvaient par la parole de Dieu: à savoir que le pain et le vin n’étaient pas réellement changés au corps et au sang du Seigneur, lequel n’était pas non plus enclos en eux . Les minstres enseignaient que Jésus-Christ est au ciel, d’où, par la vertu de son Saint- Esprit, il se communique en nourriture spirituelle à ceux qui reçoivent les signes avec foi. Or quoi qu’il en soit, Villegagnon et Cointa disaient que ces paroles: “Ceci est mon corps, ceci est mon sang” ne se peuvent prendre autrement, sinon que le corps et le sang de Jésus-Christ y soient contenus. Que si vous demandez maintenant: comment donc l'entendaient-ils, vu que tu as dit qu’ils rejetaient les deux susdites opinions de la transsubstantiation et de la consubstantiation? Certes, je n’en sais rien, et je crois fermement qu’ils ne le savaient pas eux-mêmes. Car quand on leur montrait, par d’autres passages, que ces paroles et locutions sont figurées: c’est-à-dire que l'Ecriture a coutume de parler et de nommer les signes du sacrement du nom de la chose signifiée, ils ne pouvaient rien répliquer de valable pour prouver le contraire. Et pourant ils ne cessaient pas pour cela de demeurer opiniâtres. A ce point que sans savoir comment cela se faisait, ils voulaient néanmoins manger la chair de Jésus-Christ, non seulement grossièrement, plutôt que spirituellement, mais même et, qui pis est, ils la voulainent mâcher et avaler toute crue, à la manière des sauvages nommés Ouetacas dont j’ai parlé plus haut.

FIN

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