248 [duplicate?] Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire (Promenade 3)

Je deviens vieux en apprenant toujours.

Solon répétoit souvent ce vers dans sa vieillesse Il a un sens dans lequel je pourrois le dire aussi dans la mienne ; mais c’est une bien triste science que celle que depuis vingt ans l’expérience m’a fait acquérir : l’ignorance est encore préférable. L’adversité sans doute est un grand maître ; mais ce maître fait payer cher ses leçons, & souvent le profit qu’on en retire ne vaut pas le prix qu’elles ont coûté. D’ailleurs avant qu’on ait obtenu tout cet acquis par des leçons si tardives, l’à-propos d’en user se passe. La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse ; la vieillesse est le temps de la pratiquer. L’expérience instruit toujours, je l’avoue ; mais elle ne profite que pour l’espace qu’on a devant soi. Est-il temps au moment qu’il faudroit mourir d’apprendre comment on aurait dû vivre ?

Eh! que me servent des lumières si tard & si douloureusement acquises sur ma destinée & sur les passions d’autrui dont elle est l’œuvre ! Je n’ai appris à mieux connaître les hommes que pour mieux sentir la misère où ils m’ont plongé, sans que cette connaissance en me découvrant tous leurs piéges m’en ait pu faire éviter aucun. Que ne suis-je resté toujours dans cette imbécile mais douce confiance qui me rendit durant tant d’années la proie & le jouet de mes bruyants amis, sans qu’enveloppé de toutes leurs trames j’en eusse même le moindre soupçon ! J’étais leur dupe & leur victime, il est vrai, mais je me croyois aimé d’eux, & mon cœur jouissait de l’amitié qu’ils m’avaient inspirée en leur en attribuant autant pour moi. Ces douces illusions sont détruites. La triste vérité que le temps & la raison m’ont dévoilée, en me faisant sentir mon malheur, m’a fait voir qu’il était sans remède & qu’il ne me restait qu’à m’y résigner. Ainsi toutes les expériences de mon âge sont pour moi dans mon état sans utilité présente, & sans profit pour l’avenir.

Nous entrons en lice à notre naissance, nous en sortons à la mort. Que sert d’apprendre à mieux conduire son char quand on est au bout de la carrière ? Il ne reste plus à penser alors que comment on en sortira. L’étude d’un vieillard, s’il lui en reste encore à faire, est uniquement l’apprendre à mourir, & c’est précisément celle qu’on fait le moins à mon âge ; on y pense à tout, hormis à cela. Tous les vieillards tiennent plus à la vie que les enfans, & en sortent de plus mauvaise grace que les jeunes gens. C’est que tous leurs travaux ayant été pour cette vie, ils voient à sa fin qu’ils ont perdu leurs peines. Tous leurs soins, tous leurs biens, tous les fruits de leurs laborieuses veilles, ils quittent tout quand ils s’en font. Ils n’ont songé à rien acquérir durant leur vie qu’ils pussent emporter à leur mort.
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Le frontispice de l'Encyclopédie d'Alembert et de Diderot (1751-)
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Jean Hubert, Le dîner des philosophes (1772)
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