77 Assignment: Marguerite de Navarre, Heptaméron (Nouvelle 34)



[Page 306]:

“Voilà, mesdames, comment il ne faut pas bien écouter le secret là où on n’est point appelé, et entendre mal les paroles d’autrui.” — “Ne savais-je pas bien, dit Simontaut, que Nomerfide ne nous ferait point pleurer, mais bien fort rire? En quoi il me semble que chacun de nous s’est bien acquitté!” — et qu’est-ce à dire, dit Oisiblle, que nous sommes plus enclins à rire d’une folie que d’une chose sagement faite?”– “Pource, dit Hircan, qu’elle nous est plus agéable, d’autant qu’elle est plus semblable à notre nature, qui de soi n’est jamais sage. Et chacun prend plaisir à son semblable: les fous aux folies, et les sages à la prudence.” — “Je crois, dit Simontaut, qui’il n’y a ni sages ni fous qui se sussent garder de rirer de cette histoire.”

 


 

[Pages 306-307]:

“Il y en a, dit Géburon, qui ont le coeur tant adonné à l’amour de sapience que, pour choses que sussent ouïr, on ne les saurait faire rire, car ils ont une joie en leurs coeurs et un contentement si modéré que nul accident ne les peut muer.” — “Qui sont ceux-là? dit Hircan.” — “Les philosophes du temps passé, répondit Géburon, dont la tristesse et la joie est quasi point sentie; au moins n’en montraient-ils nul semblant tant ils estimaient grand vertu se vaincre eux-mêmes et leur passion.”– “Et je trouve aussi bon comme ils font, dit Saffredent, de vaincre une passion vicieuse; mais d’une passion naturelle qui ne temps à nul mal, cette victoire-là me semble intuile.”– “Si est-ce, dit Géburon, que les Anciens estimaient cette vertu grande.”– “Il n’est pas dit aussi, répondit Saffredent, qu’ils fussent tous sages, mais y en avait plus d’apparence de sens et de vertu qu’il n’y avait d’effet.”– “Toutefois vous verrez qu’ils reprennent toutes choses mauvaises, dit Géburon, et même Diogène marche sur le lit de Platon qui était trop curieux à son gré, pour montrer qu’il déprisait et voulait mettre sous pied la vaine gloire et convoitise de Plaon en disant: ‘Je conculque et déprise l’orgueil de Platon'” — “Mais vous ne dites pas tout, dit Saffredent, car Platon lui répondit que c’était par un autre orgueil.”

 


 

[Page 307]:

“A dire la vérité, dit Parlamente, il est impossible que la victoire de nous-même se fasse par nous-même sans un merveilleux orgueil, qui est le vice que chacun doit le plus craindre, car il s’engendre de la mort et ruine de toutes les autres vertus.” — “Ne vous ai-je pas lu au matin, dit Oisille, que ceux qui ont cuidé être plus sages que les autres hommes et qui, par une lumière de raison , sont venus jusqu’à connaître un Dieu créateur de toutes choses, toutefois, pour s’attribuer cette gloire, et non à Celui dont elle venait, esitmant leur labeur avoir gagné ce savoir, ont été faits non seulement plus ignorants et déraisonnables que les autres hommes, mais que les bêtes brutes? Car, ayant erré en leur esprits, s’attribuant ce qu’à Dieu seul appartient, ont montré leur erreurs par le désordre de leurs corps, oubliant et pervertissant l’ordre de leur sexe, comme saint Paul aujourd’hui nous montre en l’épître qu’il écirvait aux Romains”. — “Il n’y a nul de nous, dit Parlamente, qui par cette épître ne confesse que tous les péchés extérieurs ne sont que les fruits de l'infélicité intérieure, laquelle plus est couverte de vertu et de miracles plus est difficile à arracher.”


Jérôme Bosch, La Nef des fous (XVe s.)
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